mardi 13 mai 2008

Belgique


Les sentiers de l’art et de la poésie.
A Zénon Kowal

Je mettrais au centre d’Anderlecht, la calme banlieue bruxelloise, où je fais commencer mon voyage, la maison blanche. C’est le nom choisi par Maurice Carême (1899-1978) pour la maison qu’il s’est fait construire en 1933. C’est aujourd’hui un musée et le siège de la Fondation que préside Mme Jeannine Burny. En 1943, Mme Burny entre dans la vie et dans l’œuvre du poète. Personne au monde ne connaît mieux qu’elle l’œuvre carémienne. C’est un grand bonheur que de visiter la maison du poète en sa compagnie. Le musée comprend outre son riche mobilier des œuvres de Wolvens, De Boeck, Delmotte, Somville et Paul Delvaux…
Sa bibliothèque est la plus fournie de toute la Belgique en matière de poésie. Je ne pense pas au nombre de livres que j’ai eu le bonheur d’y lire. Mais plutôt à ceux que je n’ai pas eu le temps de lire.
Anderlecht s’enorgueillit aussi d’abriter la maison où Erasme (1469-1536) est venu « jouer au paysan ». Le grand humaniste y habita lors de son séjour en Belgique. On peut admirer ici une belle œuvre de Jérôme Bosch, des gravures de Dürer. Je regrette que le portrait d’Erasme par Holbein ne soit plus au musée ! Mais un voyage, c’est aussi ses frustrations !
Pas loin, à l’ombre d’un clocher, le béguinage. Nous sommes certes très loin de celui de Bruges mais c’est le même charme qui fait penser au poème de Georges Rodenbach :


« Au loin, le Béguinage avec ses clochers noirs,
Avec son rouge enclos, ses toits d’ardoises bleues
Reflétant tout le ciel comme de grands miroirs,
S’étend dans la verdure et la paix des banlieues. »
Le payottenland (pays des chaumières, campagne qui se trouve à 10 minutes de la ville) est une parfaite illustration du grand peintre qu’est Bruegel (vers 1520-1569). L’église de Pede-Sainte-Anne, a été reproduite dans « La parabole des aveugles »…
Le payottenland égrène un chapelet d’églises de la fin du gothique Rien ne semble avoir changé depuis. Le même paysage, le même moulin que dans « Le Cortège de noces » et la même meule de foin. Et les mêmes sentiers.
« C’est vous, Pierre Breughel, c’est vous réincarné
Par mon regard et le cœur chaud de ma poitrine,
Tant j’aime ce pays que vous avez aimé ! » (René Verboom).
Je découvre ce grand poète. Etonnante l’histoire littéraire qui n’a pas retenu son nom.
Mais c’est plutôt à Verhaeren qu’il convient de songer pour illustrer Bruegel (c’est cette orthographe que le peintre a fini par choisir). Verhaeren a traduit en poésie l’œuvre du peintre dans Les Campagnes Hallucinées.
A Gaasbeek, le château de Philippe de Montmorency, comte de Hornes, est un chef d’œuvre de bon goût : le parc, le beau mobilier, les œuvres d’art (je ne savais pas que le tableau de Valckenborch « La Tour de Babel » était aussi grand), les tapisseries de Tournai.
Dans les environs de Bruxelles, le village de Waterloo qui a donné son nom à plus de 40 cités ou hameaux de par le monde. On vient y voir le musée du duc Wellington, vainqueur de la bataille de Waterloo, qui n’a pas eu lieu à Waterloo. En fait la bataille ne porte ce nom que parce que le duc Wellington y tenait son QG. C’est face à Braine-l’alleud (où l’on peut admirer la butte aux lions) que la bataille a eu lieu. En 1861, Victor Hugo vint dans la région écrire le chapitre des Misérables consacré à la défaite du 18 juin 1815.
« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !... » écrit-il ailleurs.
Je pense aussi à ces pages de Stendhal dans La Chartreuse de Parme.
Je ne pouvais pas ne pas aller à Wavre où naquit Maurice Carême. Voici la rue des Fontaines où il a vu le jour, puis voici la maison où il a vécu. Ses cousins me reçoivent comme un des leurs. (Dieu comme ils me sont devenus proches). Voici le mausolée où il repose. Puis voici la Dyle qu’il a tant chantée et qui continue à couler à sa perte :


Je suis né un grand jour de peine,
Mais né dans la rue des Fontaines.
Mes parents n’avaient pas d’argent,
Mais au pré, le linge était blanc,

Et la Dyle passait tout près
Avec des fleurs à son corset.
(Maurice Carême)
Au musée royal de Mariemont. L’exposition « Celtes, Belges, Boïens, Rèmes, Volques… » est un enchantement. Il y a aussi ce beau service en porcelaine fait d’après Buffon pour le compte du duc D’Orléans en 1787 ; une statue funéraire en marbre de Marciana (Tunisie, II e siècle), une belle statuette d’Aphrodite-Astarte (Syrie), un superbe Corot... Il y a au parc du musée une des quatre sculptures d’Auguste Rodin, intitulées « Les Bourgeois de Calais » (en rappel du dévouement des bourgeois de Calais qui se livrèrent au roi Edouard III d’Angleterre lors du siège de 1347 et sauvèrent ainsi la ville).
Voici Nivelles : la collégiale Sainte-Gertrude, la crypte du XIe siècle. Hier, je suis allé voir l’abbaye cistercienne de Villers tout en ruines et en verdure. Les vers qu’on attribue à Victor Hugo se sont effacés. Heureusement qu’on peut en trouver un fac-similé en carte postale. Le poète aurait gravé de sa propre main ces vers :
« Veni, Vidi, Flevi.
Ô fats ! sots parvenus, ô pitoyable engeance
Qui promenez ici votre sotte ignorance
Et votre vanité
Cessez de conspuer cette admirable ruine
En y bavant vos noms qui, comme une vermine
Souillent sa majesté ! »
A Ostende (littéralement « fin de l’est »), puis à Westende (littéralement « fin de l’ouest ») et entre les deux, une longue pensée pour la mer du Nord :
les brouillards de la Mer du Nord viennent nous refroidir
alors nous nous levons dans nos corps en attente
et sortons nos crânes pourris de leurs vieilles soupentes
(William Cliff)
L’auteur de ces vers est une des voix les plus confirmées de la poésie de langue française. J’ai par-dessus tout apprécié son recueil Autobiographie.
L’après-midi, je rencontre l’éminent grammairien Goosse au mariage du poète Michel Joiret…..
Ostende, coquette station balnéaire, est la ville du grand peintre James Ensor. Ici, ciel et mer nuancent à l’envi le gris.
C’est aux portes d’Ostende que l’archiduchesse Isabelle jura de ne pas changer de chemise tant que la ville ne serait pas prise. Cela dura trois ans ! Trois ans que la chemise de l’archiduchesse accumule sang, poussière et crasse. D’où en français l’expression « couleur isabelle » pour qualifier une teinte incertaine.
A Coxyde (Saint-Idesbald), la principale attraction est le musée Paul Delvaux (1897-1994). Je m’arrête longuement devant les œuvres qui m’ont toujours interpellé. Il y a chez Delvaux une fascination des trains sur laquelle je reviendrai plus longuement un jour.
Il y a chez lui une obsession du rose des femmes, de leur rose et de Rose.
Sur le chemin du retour, je passe par Ypres, la ville martyre. Cité fondée au Xe siècle, elle fut détruite à maintes reprises. L’opulente cité drapière fut rasée en 1915. Les Allemands y employèrent pour la première fois le gaz asphyxiant l’ypérite (du nom de la ville) en 1917. On trouvera un écho de cet épisode historique dans les Thibaut de Roger Martin du Gard. Je visite la cathédrale de la ville. Jansénius en fut l’évêque. L’auteur de l’Augustinus enseignait à Louvain. A Seneffe, le beau château du XVIIIe : le collège des traducteurs. Le plaisir de revoir Rade Konstantinovic, professeur de renom, Pierre Mertens, l’écrivain et l’académicien Jacques De Decker. Il y avait aussi Luc Norin, la journaliste, et Nathalie Ghassel.
La pluie sur l’autoroute. La musique de Schubert. Et voici Furnes. Sa place imposante rappelle le raffinement flamand. Comme à Bruges, comme à Louvain et même comme à Bruxelles.
Pour le 20 août, la capitale met en fleur sa Grand Place, l’une des plus belles d’Europe. C’est une symphonie de bégonias. Tout près la Royale (Bibliothèque Royale Albert Ier) fondée au XVe siècle et qui renferme 3 millions de volumes. Tout près les Musées Royaux des beaux-arts. Tout près le sympathique Mannekin Pis. Je reviens à Anderlecht où j’ai à lire. (Il en sera question ailleurs)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je viens de vous accompagner au fil de ce carnet de voyage en Belgique, ce fut un plaisir parce que le kaléidoscope défile par petites touches légères, fleuries de culture : un bouquet impressionniste en somme que votre expression fluide porte bien.
Pour l'anecdote, la chemise d'Isabelle nous ramène au siège de Grenade... Au demeurant c'est une couleur qui suscite une certaine tendresse en moi, à mes sens, comme mon café au lait ;-)
Jean-Jacques REY
http://www.jj-pat-rey.com/