lundi 9 novembre 2009

Giulio-Enrico Pisani présente le nouveau recueil de Laurent Fels

Laurent Fels
Dans sa dernière livraison, le journal Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek publie ce texte de notre ami Giulio-Enrico Pisani présentant la dernière publication du pôète Laurent Fels :
Le nouveau recueil de Laurent Fels
« Arcendrile » suivi de « Nielles »

Voilà une réédition bienvenue, que ces deux petits recueils réunis en une élégante plaquette éditée par les éditions Rafaël De Surtis et tirée à deux cents exemplaires numérotés ! (1) Il est vrai que « Nielles », je vous l’ai déjà présenté le 7 janvier 2009 (2) en même temps que « Cadastres du Babel » de Paul Mathieu, les deux parus en coffret chez Estuaires, mais entre-temps épuisé. Raison de plus donc de nous réjouir de cette réédition. Mais il y une raison supplémentaire à cette reprise de « Nielles ». Ce recueil vient en effet à se situer quelque part dans le prolongement d’« Ar-cendrile », mot valise combinant les concepts allégoriques « argile » et « cendre ».
L’argile symbolise la création, la naissance/animation par quoi tout commence (mythes incas et judaïques de la création à partir d’une ou plusieurs figurines d’argile). La cendre évoque la disparition, la mort, la crémation, la dispersion et le retour à la terre en quoi tout finit (mythes védiques, germano-nordiques, chrétiens ou autres mazdéens de purification par le feu). Commençons donc par le commencement et, plus précisément, par
« Arcendrile »,
qui, bien plus qu’être le titre du premier recueil, représente outre l’irréversible cheminement – qui pour le poète devient démarche – de la glaise vers la poussière, de la pierre vers le cristal, de l’épanescence vers l’évanescence (3), la passerelle entre l’ami présent et l’amie absente : de René Welter vers José Ensch. Vu ainsi, Arcendrile ne serait pas seulement un mot valise, mais aussi un titre valise : tout à la fois le titre du livre comprenant « Arcendrile » et « Nielles » et celui du premier recueil. Recueil ? Long poème plutôt, essentiellement dédié à l’ami, au poète, professeur et éditeur René Welter, que je vous présenté le 28 mars 2009 dans mon article du 29.3.2009. (4) Et c’est bien avec une citation de René, que Laurent ouvre le bal... des mots : « arrive le jour / où confier / un prénom / suffit »
Ne dirait-on pas que Laurent, à la fois musicien, peintre et photographe, demande à René de prendre à la fois la pose, de saisir son instrument et de lui donner le La ? Et, une fois l’accord trouvé, voici l’ouverture : « assis / il était // au fond / en train // de remplir / la pièce // d’un souffle » .
Rien de grandiose, de multicolore, tonitruant, non, plutôt solo de flûte, pizzicato de violon ou ébauche... Un portrait ? Même pas. Je songerais plutôt à quelque rapide croquis, un peu comme celui que Courbet dut esquisser de Baudelaire assis sur une petite table, avant de commencer à composer son monumental « L’atelier du peintre ». (5) Sauf qu’ici, Laurent ne prépare nullement quelque scène remplie de personnages et saturée de formes et couleurs. Le croquis, précis, lapidaire, ou, comme l’écrit avec justesse l’écrivain Bernard Noël dans sa préface, vertical, suffit. Le reste appartient au lecteur. Et Noël de préciser, quant à l’ascétique laconisme de Laurent :
« ... On oublie le bref au profit du rapide, qui permet des précipitations, des sauts qualitatifs, des collisions pensives (j’ajouterais : des développements imprévisibles). Cette vitesse s’impose comme la caractéristique première de ce livre, mais elle doit sa force au choix, toujours, du mot le plus simple, le plus direct. Il n’y a pas ici, comme trop souvent, une fabrique d’images poétiques : c’est la sobriété de la verticale, sa gravité, qui produisent à la fin des éclats dont le vif fait image ou éclaircie... »
En effet, Laurent est un poète à lire au grand galop, ou, compte tenu de sa verticalité, à la façon d’une fusée – Ariane, Thésée, Atlas ou Apollon qu’importe – à l’ascension fulgurante : « ne crains / celui // qui part / déjà // s’approche / de toi // dans la / finitude // de l’autre / tu te // reconnais // cette fin / cruelle // où l’on / ne dit // plus / rien » . Au galop ? Et pourquoi pas, à condition d’y revenir, encore et encore. Dans le livre les vers sont placés bien sûr à la verticale, disposition qui contribue beaucoup à la dynamique du poème. De plus, pourrait-on imaginer ci et là dans l’esprit du surréalisme felsien un retour sur terre en inversant l’ordre des vers, c’est-à-dire en commençant par la fin ? Rassurez-vous, je ne me le permettrais pas... sauf en mon for intérieur. Cependant, c’est fou, ce que ce genre de lecture vous permet, amis lecteurs, de pénétrer le sens que les lemmes peuvent revêtir dans l’esprit du poète et qui n’apparaît pas d’emblée, ainsi que la contribution des mots à la construction du poème.
Ces jeux de l’esprit doivent cependant céder à l’irrévocabilité des derniers vers : « cette fin / cruelle // où l’on / ne dit // plus rien » et « un verbe / à l’imparfait // me rappelle / qu’il / était / aussi // pour moi » . Suit la réponse de la bergère au berger. « j’ai failli te confier que je connais le bois et la cendre », concède i.a. José Ensch en introduisant
« Nielles ».
écrit en son honneur et à sa mémoire. Pour ceux qui n’auraient pas lu mon article il y a dix mois, voici un bref rappel : « Véritable élégie anamnésique dépouillée de tout lyrisme, ce bouquet de poèmes évoque en mots clés savamment distillés la présence sempervirente et le souvenir de cette dame de poésie, dont la modestie et la discrétion innées dénient au poète tueur d’oubli ne fût-ce qu’un embryon de dithyrambe ».
Ce que j’écrivis ensuite vaut aujourd’hui également pour « Arcendrile » : « Sobre jusqu’au dépouillement, minimaliste au point de penser que l’encre pourrait lui venir à manquer, l’auteur de « Nielles » nous livre plein d’incrustations précieuses sur un travail de ciselure verbale dont tout excès ou gaspillage sont bannis. José Ensch, à la fois maîtresse, égérie et muse de tant de jeunes poètes, on la retrouve dans chaque mot de Laurent Fels, dans ses sous-entendus et même dans le jardin de la poétesse, à tout bout de phrase... Je pense notamment à l’évocation felsienne « au fond / du cœur // l’étoile / scintille // devant / l’étincelle // éteinte / que restera-t-il // du souffle / suivre // le chemin... » , ainsi qu’à ces vers, où Laurent hypothétise tristement : « j’aurais / cru // à l’exérèse / de la // première lettre / d’un prénom... » » .
Da capo ! (6)
***
1) Rafael de Surtis Éditions, 7, Rue St Michel, F-81170 Cordes sur Ciel. En vente à Esch/Alzette chez Diderich et à Luxembourg chez Libo Gare.
2) Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek, en ligne sub www.zlv.lu/spip/spip.php ?article30
3) épanescence : néologisme antinomique d’évanescence (comp. épanouir – évanouir) du poète Michel Deguy, cité par Jalel El Gharbi dans son essai “Le poète que je cherche à lire”
4) Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek : René Welter « Feuil-lets de plomb », suivi de « À main courante » paru chez Estuaires, en ligne sub www.zlv.lu/spip/ spip.php ?article425
5) Paris, Musée d’Orsay, aile gauche. Peut être visualisé sur www.rmn.fr/gustavecour bet/06autour/04.html. On reconnaîtra Charles Baudelaire tout à fait à droite
6) c’est-à-dire retour à la première citation de René Welter : « arrive le jour / où confier / un prénom / suffit »
Giulio-Enrico Pisani

5 commentaires:

christiane a dit…

En lisant ce blog et ses plumes je pense à quelques lignes de Djalâl od Dîn Rumi :
"Comment le soufi pourrait-il ne pas se mettre à danser, tourner autour de lui-même comme l'atome, au soleil de l'éternité afin qu'il la délivre de son âme périssable.
Vole, vole oiseau, vers ton séjour natal, car te voilà échappé de la cage et tes ailes sont déployées..."

Jalel El Gharbi a dit…

ِ@ Chrisitiane : Superbe votre citation. Vous les choisissez toujours dans cette zone où la vérité jouxte le silence.

brigitte giraud a dit…

Etonnant quand même, je connais assez bien Paul Sanda des éditions Raphaël de Surtis qui voulait que je publie chez lui...
Laurent Fels, donc à retenir !
Bonjour à vous 2, Jalel ET Giulio.

Jalel El Gharbi a dit…

@ Brigitte Giraud :
Laurent est un homme qui vit en poésie.
Moi aussi j'ai été surpris de le voir publié chez Paul Sanda (j'étais en correspondance avec lui puis nous nous sommes perdus de vue)
Merci pour la décoration Awsomeblogger, je m'en occuperai
amicalement

Anonyme a dit…
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