mardi 10 août 2010

trope et vérité المجاز و الحقيقة


MC Escher : Anamorphose

المجاز قنطرة الحقيقة
Al Majaz Qantarat al Haqiqa
La métaphore est le pont de la vérité.
Almajaz :
On traduit abusivement Majaz مجاز par métaphore. La métaphore est un cas de Majaz. Ainsi donc la traduction de Majaz par métaphore est de type synecdotique puisqu’elle traduit le tout par la partie. Le mot qui convient le mieux pour dire Majaz c’est trope. C’est-à-dire cas de figure où un mot change de sens. Selon Tabatiba’i الطباطبائي, il n’y a pas de frontière étanche entre majaz et sens propre, entre trope et sens propre puisque dans leur évolution sémantique les mots changent de catégorie. Et l’on passe quasi imperceptiblement du sens figuré au sens propre. On pourrait rendre Majaz par métaphore mais il convient alors de préciser qu’il s’agit d’une métonymie et d’avoir à l’esprit que métaphore vient de μεταφορά : transport. Aujourd’hui encore à Athènes on prend la métaphora (le bus). Comme le mot arabe « majaz » signifie « passage », « distance parcourue »…(en plus de « licence » dans toutes les acceptions du mot, y compris même la licence poétique).
Ainsi donc d’une rive à l’autre la figure semble promise à la distance, au chemin, au parcours.
Juste ceci encore : on peut dire en arabe « majaz an nahr » مجاز النهر: pont. Ainsi donc les mots de notre formule donnent l’un sur l’autre, s’égrènent, s’appellent. (Je pense à Mozart cherchant « les notes qui s’aiment »)
Qantara : pont.
On pourrait se demander ici pourquoi notre formule emploie Qantara et non pas Jisr. La réponse est que Qantara signifie exactement « pont en dur » alors que Jisr désigne toute forme de pont, de passerelle. Selon le lexicographe Morthadha Zoubaidi مرتضى الزبيدي (Belgram Inde 1732- Le Caire 1790), la formule est elle-même figure. C’est ce que l’on peut lire dans le Taj al Arous تاج العروس , article Majaz. Le mystère de cette métaphore de la métaphore, figure de la figure, trope au second degré s’explique par la référence à ce propos de Abdallah Ibn Ibrahim Ibn Hassan Al Housseini عبد الله بن ابراهيم بن حسن الحسيني affirmant que « la vérité est métaphore de la métaphore ». Zoubeidi procède donc de manière quasiment ludique pour dire que notre formule est juste. Zoubaidi
Haqiqa :
Vérité.
Sens propre par opposition à majaz. J’aimerais voir dans ce mot son volet « inconnu » voire « inconnaissable ». En tout cas cela qu’on cherche. Par tous les moyens, surtout par ceux qui ne sont pas ceux de la haqiqa.
La théologie musulmane s’est longuement penché sur cette opposition « majaz » / « haqiqa » c’est-à-dire l’opposition sens propre/ sens figuré qui recouvre une autre opposition : sens explicite/sens implicite. Et les exégètes musulmans sont obligés de reconnaître que l’opposition majaz / haqiqa ne recouvre pas l’opposition vrai/faux. Ainsi donc toutes les affirmations figurées du Coran sont vraies, toutes ses figures sont vraies, de la vérité de la métaphore. Plus encore : la métaphore est le pont de la vérité. La formule mystique est vite devenue formule théologique. Tout se passe comme si elle avait été lue de gauche à droite de sorte que c’est la vérité qui est devenue le pont de la métaphore. المجاز قنطرة الحقيقة

2 commentaires:

Sophie a dit…

Passionnant.
J'ai envie d'ajouter que la vérité est constituée par le léger espace entre l'être et le discours qui en témoigne : la parole vraie, pour éviter la simple tautologie, a besoin de la comparaison pour décrire l'être. Par conséquent, le langage n'est constitué que de métaphores : sous les mots, encore et toujours des images. Le pont est donc la métaphore de la vérité...
Bien à vous

gmc a dit…

petit bémol, sophie, la comparaison est l'activité principale de la pensée, la pensée passe son temps à comparer. hors du champ de la pensée se trouvent ces choses que vous qualifiez de "vérité" ou de "parole vraie", elles ne lui sont pas accessibles, du fait de ce mouvement mécanique.