lundi 26 août 2013

Présentation du recueil de Béatrice Libert, écrire comme on part


"Ecrire comme on part " de Béatrice Libert
                                                                                   


     Il y a chez Béatrice Libert un art de mêler anodin et tragique tel que l’un et l’autre en deviennent méconnaissables. La réussite technique transcende ces deux catégories. Ici, tout se dit sous le mode de l’euphémisme, comme le suggère le titre même du recueil. A la réflexion, c’est vivre qui est art de surmonter le tragique et de le  subsumer en en faisant un des versants de la vie, une de ses saisons.  Le jardin est le lieu tout indiqué pour penser le monde, pour penser – intransitivement. Béatrice Libert décline le jardin à l’envi. C’est tantôt un parc, tantôt un verger, tantôt jardin fleuri, tantôt jardin pris par toutes les gelées. On l’aura compris, ces gelées signifient l’enneigement final : Et c’est le temps qui passe / En syllabes de neige. Le jardin est assujetti au temps, il semble même le parangon de tout ce qui y est soumis. Et c’est pourtant une neige qu’il convient de préserver sans doute pour la ressemblance qu’elle peut avoir avec la page blanche. Il y a dans le spectacle de la neige tel qu’il se donne à lire ici, quelque envoûtement qui lui vient peut-être de celui qui regarde. La neige, i.e. une somme de signes possibles, suscite l’empathie – ou mieux encore, cela que Jules Supervielle appelait pansympathie.  Relisons : « Nous aimerions voler / Pour que nos pas/ N’entachent pas la neige// Je sens la neige prise/ En son sommeil de neige/ En son tourment de neige / Hésitant à laisser choir / Sur le sol plein d’embûches/ La laine vierge de sa joie. » Le monde tel qu’il est évoqué dans la poésie de Béatrice Libert est impair ; il n’est pas manichéen. La neige a ses euphories. Et, si le monde est par trop enclin à la mélancolie, l’art le corrige en tempérant toute propension à la tristesse. C’est ainsi que le spectacle d’un jardin périclitant peut devenir source d’enchantement, comme ici : « juin jaunissait les jardins ». Dans ce vers tous les mots commencent par le même son. Cette rime senée (comme on dit en versification) ne déplaît pas à la poétesse qui en use dans un autre poème : « Fatras ferrailles et fadaises / trop lourdes à porter sur mes épaules. » Ce qui se lit dans ces deux vers est bien plus qu’un jeu de mots. C’est de la définition même de la poésie qu’il s’agit : art d’alléger le poids de l’insoutenable. Ainsi donc, ce qui motive la poétesse, c’est cette réflexion sur l’essence du poète. Une réflexion qui demeure implicite. Quasi silencieuse, cette réflexion est ce qui s’offre à la lecture : « Et le poème éteint, sous ce peu, se rallume, / Conscient d’être à lui seul la lampe et le chemin. » Sans être symboliste, ce passage dit la pronominalité du poétique : la poésie est cela qui éclaire la poésie, elle s’éclaire. Elle ne mène pas vers une autre lumière que la sienne. La poésie : douce réflexion sur la poésie, douceur de la réflexion sur la poésie, poésie de la douceur. C’est sans doute pourquoi elle a besoin de cet adjuvant qu’est l’ Hortus delicirium  qui, nonobstant toutes les apparences, est empreint de tragique, ce tragique signifié par le titre.
Jalel El Gharbi

Béatrice Libert Ecrire comme on part . Editions LeBruit des autres. 2013
Prix du Terroir-Santenay en Bourgogne

Aucun commentaire: